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Du « corps à corps » au « corps-accords » Le corps dans l’accompagnement médico-social

Le corps est bien plus qu’un simple outil : c’est une frontière vivante entre soi et le monde.

La peau, notamment, symbolise cette limite. Didier Anzieu, avec son concept du « Moi-Peau », explique que notre personnalité se construit à partir de cette enveloppe et des soins qu’elle reçoit. Le corps est donc à la fois physique et psychique.

Françoise Dolto distinguait deux dimensions :

  • le schéma corporel, soit le corps réel et visible ;
  • l’image inconsciente du corps, notre représentation mentale du corps, souvent inconsciente.

Quand cette image est mal construite, elle peut entraîner des troubles : paralysies sans cause médicale, difficultés à marcher ou à utiliser un membre, troubles alimentaires comme l’anorexie… Même après une amputation, le « membre fantôme » continue de se faire sentir, preuve que le corps existe aussi dans la tête.

Le corps marque aussi notre relation à l’autre. On garde instinctivement une certaine distance selon notre lien. En accompagnement médico-social, cette distance est bouleversée : il faut parfois toucher, soigner, aider. Cela questionne l’intimité, la pudeur et l’espace vital.

Le corps est aussi une métaphore : on parle de « corps social », « corps soignant », etc.

Une institution fonctionne comme un corps, avec ses pensées (la tête), ses actions (les membres) et ses valeurs (le cœur). Comme une personne, elle peut « tomber malade », réagir de façon excessive, ou au contraire, trouver un équilibre.

Corps et psychopathologie

Le psychisme se construit avec le corps. Un bébé qui rampe découvre l’autonomie, mais cherche le regard de ses parents pour savoir s’il a le droit. Le toucher aussi est appris progressivement, à travers des interdits (ne pas toucher n’importe qui, ni n’importe comment). Ces apprentissages construisent les bases psychiques de l’enfant.

Certaines maladies mentales touchent directement le rapport au corps. Par exemple, des personnes schizophrènes peuvent sentir qu’un de leurs bras ne leur appartient pas ou qu’un organe a été remplacé. Une patiente disait : « Arrêtez de me regarder, je vais tomber enceinte », preuve d’une confusion concernant les fonctionnements du corps, et dans la compréhension des limites entre soi et l’autre.

D’autres vivent leur sensorialité de manière extrême : ils ressentent trop ou pas assez. Cela peut expliquer pourquoi certains s’habillent de manière inadaptée (short sous la neige, pull en été). Cela ne veut pas dire qu’ils ne comprennent pas, mais qu’ils cherchent à réguler ce qu’ils ressentent.

Le rapport à la douleur est aussi perturbé : des souffrances psychiques s’expriment par le corps (maux de ventre, douleurs inexpliquées), et inversement. Une scarification, par exemple, peut calmer une douleur psychique en la ramenant dans le corps, où elle devient plus « gérable ».

Le corps dans l’accompagnement

Dans le quotidien, il y a deux façons d’aborder le corps :

  1. Le corps-objet, qu’on soigne, qu’on lave, qu’on protège… Ces gestes rapprochent physiquement les professionnels et les résidents, dans une proximité parfois difficile à gérer car elle n’est pas choisie comme dans la vie privée.
  2. Le corps-relation, qui exprime et ressent. Le professionnel « parle » aussi avec son corps (regard, posture…), et parfois il « traduit » ce que le résident vit sans pouvoir le dire.

Vignette clinique :
Une résidente se met au lit plusieurs jours, se plaint de vertiges, de fatigue, sans cause médicale. Après analyse, l’équipe remarque qu’un événement marquant (dispute, appel d’un proche) est souvent la vraie origine. Lorsqu’on l’aide à mettre des mots sur cet événement oublié, elle retrouve de l’énergie.
→ Le professionnel joue ici un rôle de passeur, aidant à relier le corps et l’esprit.

Mais attention à ne pas tout expliquer par la « somatisation » ! Cela peut être violent pour la personne. La plainte mérite toujours d’être écoutée sérieusement.

Le corps-institution, le corps-équipe

Une institution fonctionne comme un corps vivant. Les professionnels doivent collaborer, se coordonner, faire équipe. Sinon, le risque est d’avoir des réponses individuelles inadaptées : rejet, surprotection, fusion, peur…

Les angoisses des personnes accompagnées (comme la peur de l’effondrement identitaire dans les troubles psychotiques) peuvent envahir l’institution. Si celle-ci ne les contient pas, elles reviennent vers la personne sous forme de persécution.

Exemple :

  • Si l’équipe est débordée par les angoisses d’un résident → elle réagit mal → le résident se sent rejeté ou monstrueux.
  • Si l’équipe accueille et pense ces angoisses → le résident voit que ses troubles ne détruisent pas les liens → il se sent plus sécurisé.

Cela rappelle ce que vivent les bébés : quand ils hurlent, leurs parents les prennent, les calment, jouent… Ce cadre rassurant construit leur sentiment d’exister.

→ Dans un foyer, c’est un peu pareil : accueillir les comportements bruts, les penser ensemble, c’est aider la personne à se rassembler, psychiquement et corporellement.

Pierre Bidanel (psychologue) & Coralie Leprevost (AES).

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